La Fondation du Pont-Neuf s’est donnée pour ambition de faire entendre la voix du conservatisme dans le débat public. A l’heure où la croissance du PIB, le développement des entreprises, le niveau des déficits publics ou celui du chômage constituent des sujets de préoccupation majeure pour l’opinion, il serait illusoire de chercher à remplir cette mission en ignorant les problèmes économiques auxquels la France est confrontée. Avant d’élaborer des propositions concrètes en ce domaine, nous devons fixer les principes qui guideront notre travail et dissiper quelques idées fausses concernant le point de vue conservateur sur ces questions.
Une conception naïve, mais encore largement répandue, veut que le conservatisme ait partie liée avec le capitalisme. Si l’image du maître de forges, avec cigare et haut-de-forme, a presque entièrement disparu de l’imaginaire collectif, nos concitoyens demeurent largement persuadés que le conservatisme se résume à la défense de la propriété, au refus de la redistribution et à une tendresse coupable pour la transmission héréditaire des patrimoines. Cette conception, qui mêle des erreurs grossières et des aperçus pleins de justesse, est un reliquat de notre histoire politique récente.
En effet, dans la mesure où le conservatisme n’est plus représenté sur la scène politique française, c’est essentiellement par opposition qu’il se définit. La gauche, qui aspire à une redistribution toujours plus poussée des richesses, qualifie de « conservateurs » tous ceux qui la refusent, regroupant sous cette dénomination aussi bien les petits patrons en rébellion que les contribuables accablés par l’impôt ou les représentants des multinationales pratiquant l’optimisation fiscale. La droite, qui se flatte depuis des décennies de réformer l’Etat-providence, dénonce le « conservatisme » de minorités prêtes à tout pour défendre leurs privilèges et leurs droits acquis. Dans les deux cas, c’est en termes économiques que cet antagonisme se formule.
Au-delà de ces prises de position tactiques, c’est bien l’économie qui constitue à l’heure actuelle la pierre de touche du débat politique en France : l’opposition entre gauche et droite s’y réduit, en dernière analyse, à un conflit entre partisans de la redistribution et défenseurs de la libre entreprise. Dans ces conditions, on ne peut espérer rétablir le conservatisme dans ses droits et en faire de nouveau une force agissante sans définir les grandes lignes d’une politique économique conservatrice.
Cela est loin d’être aisé car, à la différence des idéologies qui prévalent depuis quelques décennies en France et en Europe, le conservatisme ne se définit pas en termes économiques. Certes, face à la gauche, un programme conservateur insistera toujours sur la défense de la propriété privée, l’attention portée à la famille et à l’héritage, le souci de maintenir au plus haut degré possible les libertés individuelles, et notamment la liberté d’entreprendre. Mais, dans le même temps, le conservatisme authentique repoussera les solutions libérales et individualistes qui constituent l’essentiel des promesses électorales portées par la droite de gouvernement.
Ainsi, à l’idée communément admise par les médias selon laquelle le capitalisme serait intrinsèquement de droite, il convient d’opposer deux principes clairs :
-Hors la défense de la propriété privée, capitalisme et conservatisme se contredisent quasiment terme à terme. L’économie moderne favorise le mouvement perpétuel des hommes, des capitaux, des marchandises ; elle requiert une transformation continue des rapports humains, bouleverse les hiérarchies traditionnelles et tend à dissoudre les solidarités anciennes pour les remplacer par des rapports contractuels dictés par l’intérêt. Le triomphe du système capitaliste a été et demeure le plus puissant facteur de transformation dans notre histoire. De Marx à Schumpeter, l’intuition de ce caractère révolutionnaire a été partagée par tous les grands théoriciens de la science économique.
-Une politique économique conservatrice vise des objectifs qui se situent en dehors du champ de l’économie. En ce sens, le conservatisme diffère de toutes les idéologies qui prévalent aujourd’hui sur la scène politique. Celles-ci se justifient avant tout par les bienfaits économiques qu’elles sont censées apporter : soit l’accroissement de la richesse disponible (promesse de droite), soit sa meilleure répartition (promesse de gauche). Ces considérations sont sans valeur pour le conservatisme : dans la perspective que nous retenons, l’économie n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens.
Ce n’est donc pas en termes économiques qu’une politique économique conservatrice doit être jugée. Envisager les questions économiques sous cet angle nécessite d’ailleurs un changement radical de point de vue. Dans cette perspective, l’impact d’une décision sur la croissance du PIB ne présente en soi aucun intérêt : seul importe le rapport entre le coût des mesures mises en œuvre et leur contribution au succès d’un programme conservateur. Adopter une telle perspective revient à accepter de prendre un risque politique considérable. En effet, dès lors qu’il est impossible à un gouvernement de justifier des sacrifices présents par d’hypothétiques gains futurs, l’approbation des électeurs ne peut être obtenue que par leur adhésion à des valeurs communes ; et il n’est en aucun cas envisageable d’acheter cette adhésion par des promesses économiques.