Tribune publiée sur le site de L’Incorrect.
Les résultats de ces élections de mi-mandat, traditionnellement périlleuses pour les présidents en exercice, tournent plutôt à l’avantage de Donald Trump – contrairement à ce que l’on peut lire dans une presse française qui le voue aux gémonies depuis son élection. On ne constate pas en effet l’effondrement annoncé des républicains à la Chambre des représentants, même si les démocrates y sont maintenant majoritaires, et il y a même en sens contraire un renforcement des républicains au Sénat.
Au vu de la violence de la campagne présidentielle, qui laisse encore des traces aujourd’hui, des attaques permanentes qui ont suivi, mettant en doute la santé mentale du président américain, ou évoquant le supposé rôle joué par la Russie dans son élection, au vu de la manière dont toute une intelligentsia – allant des principaux médias à une brochette d’acteurs reconnus – a pris parti contre Trump et battu le pavé depuis deux ans, le résultat est, on en conviendra, bien faible, et traduit, au minimum, la capacité de résilience du flamboyant hôte de la Maison-Blanche.
Parmi les choses qui peuvent expliquer ce – certes relatif – succès de Donald Trump, il faut tenir compte de son style d’action comme de ses effets réels dans le domaine économique. Le programme de Donald Trump, et c’est là que le bât blesse pour beaucoup de commentateurs, est fondamentalement nationaliste. « Vous savez, il y a un terme devenu démodé dans un certain sens – déclarait-il ainsi dans un meeting il y a quinze jours, en pleine campagne électorale -, ce terme est « nationaliste ». Mais vous savez qui je suis ? Je suis un nationaliste. OK ? Je suis nationaliste. Saisissez-vous de ce terme !».
Son programme tient en effet en une phrase : « Make America Great Again », une phrase qui transcende les divisions, une phrase derrière laquelle peuvent se retrouver coude-à-coude le chômeur noir des friches industrielles et le « red-neck » des plaines. Par ailleurs, le discours de Trump met en scène un « Autre », le migrant illégal, qui menacerait et la sécurité et la stabilité de la société américaine. Et définir ainsi un « Autre » permet en contrepartie de rassembler un « Nous », tant on se fédère souvent en s’opposant à un même ennemi.
Dans le même esprit, Donald Trump en termine avec cette idée qu’un politique doive céder devant des contraintes extérieures à la nation qu’il dirige et à laquelle seule il doit rendre des comptes, céder par exemple devant des instances internationales qui, sous couvert de défense des droits de l’homme ou de la nature, prétendraient imposer leurs choix. Il ne négocie qu’avec ses égaux, des politiques, en tenant compte des forces et faiblesses réelles de chacun, et tous les bras-de-fer qu’il a tentés sur la scène internationale ont tous tourné à l’avantage des seuls USA. Ceux qui sont venus à Washington persuadés de le convaincre de changer de position, comme le fit par exemple Emmanuel Macron, en sont repartis Gros-Jean comme devant, quand ils n’ont pas été publiquement ridiculisés en terme d’image.
Bien malin qui peut dire si Donald Trump est un sage qui se cache sous des oripeaux du fou, appliquant peut-être en cela les préceptes d’un Henry Kissinger suggérant à Richard Nixon, dans ses négociations sur le Vietnam, cette « théorie du fou », ou s’il est parfois tout simplement un peu « border line », mais les Américains constatent que cela paye. Et peu leur importe alors les réflexions un peu lestes ou les gaffes, et moins encore des discours « clivants » où beaucoup se retrouvent.
Car Donald Trump, avec ses excès et ses succès, est en effet révélateur des demandes actuelles des populations occidentales. Devant les limites de leur victoire à la Chambre des représentants, les démocrates – et les médias – en sont réduits à se féliciter de l’apparition de « nouveaux visages » – entendons par là de représentants des minorités, hispanique et musulmane -, et de l’augmentation du nombre de femmes. Cela traduit à la fois leur logique de fonctionnement… et leur erreur.
On reste en effet sur cette approche d’un corps de représentants devant représenter les différents groupes d’une société que l’on ne cesse de diviser en segments. L’universitaire américain Mark Lila, très sensible à l’esprit des Lumières française, a décrit dans La Gauche identitaire – en utilisant ici, précisons-le, le terme d’identitaire dans un sens très différent de celui dans lequel on l’entend généralement de nos jours en Europe, nous parlerions plus volontiers pour notre part de communautarisme – cette approche politique segmentée des démocrates et ses effets pervers, quand elle finit par mettre en concurrence des groupes sociaux en leur interdisant de voir ce qui les rassemble.
Le lui interdisant, partiellement au moins, parce qu’elle méprise en fait la partie déclassée de la nation qui n’a pas l’excuse de la victimisation de genre ou de race pour attirer son attention. Comme le déclarait récemment Lila dans Le Figaro, « l’élite du Parti démocrate, qui est peu nombreuse et se trouve principalement à Hollywood et dans les universités, n’a pas de goût pour cette politique de la base où il faut rencontrer son voisin, discuter avec lui »… Et évoquant ses étudiants de gauche il déclarait encore : « L’été ils partent construire des maisons au Nicaragua, aider les femmes en Palestine. Mais jamais l’idée ne leur vient de partir dans l’Iowa, à Détroit ou dans tout autre endroit sinistré des Etats-Unis ».
Or les populations occidentales ont actuellement besoin de protection contre les nouvelles menaces qu’elles décèlent. Et la nation, parce qu’elle est un lieu de solidarité, et même le plus vaste de ces cercles de solidarité au temporel disait un auteur, représente naturellement cette protection. Une protection qui, parce qu’elle transcende les divisions internes, protège certes de l’agression extérieure mais écarte aussi le spectre d’une guerre civile que le communautarisme, au contraire, organise en loi. Et c’est du chef politique national, de ce leader agissant, bien plus que des juges coupés des réalités et sans légitimité élective, ou de représentants d’associations censées représenter une mythique « société civile », que les citoyens attendent une solution. Car seul ce politique est en fin de compte légitime à décider souverainement.
Les rideaux de fumée des intelligentsias occidentales ne peuvent plus masquer aujourd’hui certaines réalités, et ne restera aux pouvoirs qui entendront nier ces dernières que l’usage de la répression pour éviter la remise en cause de leur monde virtuel. Donald Trump, avec ses forces comme avec ses faiblesses, ses qualités comme ses défauts, représente peut-être avant tout ce retour brutal du réel en politique, un retour peut-être attendu dans d’autres pays…