Contrairement à ce que prétend la propagande nazie, l’Allemagne est de son côté plutôt préservée par le “diktat” de Versailles.
En effet, avec Aristide Briand, la passion pacifiste de la réconciliation franco-allemande nous a fait renoncer aux garanties de sécurité obtenues par la victoire. La guerre est déclarée “hors-la-loi” en 1929. En 1930, les troupes françaises se retirent unilatéralement de Coblence et de Cologne. Elles se replient derrière une future ligne Maginot, arbitrairement arrêtée au pied des Ardennes. La Sarre est livrée en 1935. L’Allemagne, aux mains des nazis, se dresse plus puissante que jamais. En 1936, Hitler peut remilitariser sa frontière avec la France. Briand est déjà mort quand le gouvernement d’Albert Sarraut proteste. Mais il est trop tard. Personne n’a osé ordonner la mobilisation générale, de peur de froisser les partisans de la paix à tout prix. On pense alors pouvoir compter sur le contrepoids italien et soviétique. Mais le lâchage de l’Autriche et des Sudètes finit de décourager ces potentiels soutiens en 1938. Le 22 juin 1940, on retourne à la clairière de Rethondes mais pour signer l’armistice. Les Américains n’ont pas bougé. Rétrospectivement, on peut se dire que cette capitulation avait déjà été signée, une décennie plus tôt.
Après 1945, l’Allemagne est divisée en quatre zones d’occupation mais là encore, on se refuse à faire renaître les anciennes principautés allemandes autrement que par l’intermédiaire du fédéralisme des Länder. Tout le travail des Bourbons, qui avait été de maintenir les Allemagnes dans leur diversité, est négligé. Les maigres tentatives pour sécuriser la rive gauche du Rhin et favoriser le séparatisme rhénan sont infructueuses car elles ne sont pas soutenues par les Anglo-saxons. Konrad Adenauer est au contraire choisi pour replacer rapidement l’Allemagne dans le camp des alliés contre Moscou. On évoque déjà une armée européenne sous parapluie américain. Finalement, la renaissance complète de l’unité allemande se fait à quarante ans d’intervalle: 1949 et 1989. Cette fois, c’est l’effondrement de l’empire soviétique qui bouscule les équilibres européens. Le morcellement de l’Europe centrale réapparaît au grand jour. L’Autriche est toujours aussi faible et l’Allemagne se retrouve à nouveau toute seule face à son arrière-cour slave et hongroise.
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La fusion-absorption de la RDA par la RFA puis les élargissements à l’Europe centrale ont redonné à Berlin une puissance oubliée jusque là.
Surtout la France espère naïvement qu’en échange de ses réformes, l’Allemagne consentira à l’ouverture de son coffre-fort pour équilibrer les inégalités de croissance. C’est méconnaître le culte de l’Allemagne pour les excédents et la stabilité de sa monnaie, qui sont les deux motifs de l’identité et de la fierté germanique moderne. La redistribution est minime. 25 ans plus tard, le bilan de ce qu’Hubert Védrine (alors porte-parole de Mitterrand) avait décrit comme “une formidable prise de judo” est accablant. C’est la France qui se retrouve ligotée à Francfort, Strasbourg et Berlin. François Mitterrand n’avait pas imaginé que la banque centrale européenne serait la Bundesbank en plus grand.
Certes, le contexte a bien changé depuis 1940 et l’amitié franco-allemande apparaît encore indépassable à nos yeux. La revanche allemande est pacifique. Pourtant le rapport est de plus en plus inégal entre les deux meilleurs ennemis. La France est reléguée, comme un satellite industriel et agricole de l’axe rhénan. En somme, les leçons stratégiques de l’entre deux guerres n’ont pas été comprises. Sarkozy fait d’ailleurs rapatrier nos derniers régiments d’Allemagne. Si la domination allemande n’était qu’économique, on pourrait toujours se rassurer en estimant que la France a pour elle la domination politique. C’est l’image attribuée à de Gaulle du “jockey français monté sur le cheval allemand“. Encore que, comme l’a montré Jean-Louis Thiériot dans son dernier essai De Gaulle le dernier réformateur, la France gaullienne a été aussi une période de fort rattrapage économique et le fondateur de la Vème République a eu l’ambition de doubler la RFA sur ce point.
L’Europe a besoin de la France face à l’Allemagne.
Certes, tous ces jeux de puissances pourraient paraître dérisoires au regard du changement de civilisation que nous subissons avec la submersion islamique. On peut se poser la question: est-il encore temps de rejouer la guerre franco-allemande alors que sont déjà ouvertes les vannes migratoires ? Précisément, nous n’avons plus le choix: les deux combats politiques doivent être menés de front. Pour conserver son avance économique l’industrie allemande a cru bon d’ouvrir son marché à toute la misère du monde. Car lorsque l’équilibre de l’Europe des nations s’effondre, c’est toute la civilisation européenne qui risque de disparaître.