Paradoxalement, Emmanuel Macron, qui veut imposer à tous les jeunes Français un « service national universel », est le premier président de la Ve République à n’avoir pas servi sous les drapeaux. Né en 1977, il avait vingt ans lors de la fin de la conscription et, sa classe d’âge étant largement dispensée, il lui aurait fallu se porter volontaire pour revêtir l’uniforme ce qu’il ne fit pas. Pourtant, dès avril 2017, il plaide pour un service universel obligatoire « sous encadrement militaire, pour dispenser une formation élémentaire sur la défense ».
On commencera par relever que l’expression « service national universel » n’a rien de nouveau. Elle a été introduite voilà bientôt vingt-deux ans par la loi du 28 octobre 1997 qui suspend la conscription. Cette loi attache à ce service trois obligations – le recensement, la journée défense et citoyenneté et l’appel sous les drapeaux, autrement dit la conscription qu’elle suspend – et prévoit qu’il comporte « aussi un service civique et d’autres formes de volontariat ». Recensement et journée défense et citoyenneté sont donc les seules obligations effectives des jeunes Français des deux sexes, la conscription pouvant être réactivée en cas de nécessité de la Défense nationale. A partir de là, diverses formes de service peuvent être organisées – civique, militaire volontaire, en entreprise etc. -, mais toujours sur la base du volontariat.
Depuis 1997, des voix se sont élevées à droite et à gauche pour déplorer que les citoyens ne passent plus par le creuset du service national à composante essentiellement militaire. Beaucoup, y compris parmi les militaires, ont cru pouvoir le remplacer par un service civique, mais tous n’y mettent pas le même contenu et ces diverses propositions ont abouti au projet qui se met en place en ce moment même. Or, ce dispositif « républicain » est à la fois incohérent et contraire à plusieurs droits et libertés.
Il est incohérent parce que si l’Education nationale échoue à former le citoyen alors qu’elle dispense un « enseignement moral et civique » du cours préparatoire et à la terminale, on voit mal comment ce service pourrait y parvenir en quelques semaines. Il est incohérent parce que le rapport parlementaire de 2018 lui assigne pour seul objectif de « contribuer à former le citoyen » ce qui relève d’une logique éducative et non d’un service qui suppose avant tout la satisfaction d’un besoin d’intérêt général (c’est d’ailleurs ce qui justifia en 1997 l’abandon de la conscription). Il est incohérent parce que le besoin obsessionnel de donner à tous un catalogue de valeurs communes – les fameuses valeurs de la République dont la liste ne cesse de s’allonger et de se modifier au gré des rapports de force – s’accommode de plus en plus mal de la liberté de penser qu’on prétend célébrer. Passons… Mais il est surtout attentatoire aux droits et libertés.
Il est contraire aux droits et libertés parce qu’il prévoit une période dite de cohésion (mot concédé au vocabulaire militaire) de quinze jours, pendant laquelle des mineurs de 15 ans seront soustraits à la garde de leurs parents sans le consentement de ceux-ci et logés collectivement sous la responsabilité d’« adultes ayant une expérience de l’encadrement des adolescents » (sic). C’est là une sujétion que la Constitution n’autorise normalement que si elle est imposée à des adultes et par la Défense nationale. Or, ce service ne relève pas de la Défense, il ne sera d’ailleurs pas encadré militairement, ne se déroulera pas dans une enceinte militaire, et on ne voit donc pas ce qui peut autoriser cet internat forcé. Ce dispositif se met en place sans révision de la Constitution, sans même une loi alors qu’il en faudrait au minimum une pour introduire la dérogation à l’obligation scolaire que constitue ledit service (qui ne peut pas se dérouler intégralement et pour tous pendant les vacances scolaires). Pour le dire plus simplement, il ne s’embarrasse ni du droit ni des droits. Quelles précautions a-t-on prises pour prévenir les risques que comporte l’hébergement d’adolescents compte tenu de la masse des individus concernés (700000 par an), de leur âge et du brassage qui est précisément recherché ? Qui peut imaginer que les comportements délictueux que connaissent les établissements d’enseignement, certains plus que d’autres, cesseront durant cette période d’internat ? Qu’arrivera-t-il lorsque la situation échappera au contrôle du personnel d’encadrement ce qui, statistiquement ne manquera pas de se produire ? Dira-t-on aux parents que leurs enfants ont subi un dommage collatéral de l’apprentissage du « vivre-ensemble » et d’une vision particulière du principe de fraternité ?
Il est encore contraire aux droits et libertés parce que les quinze jours suivants, l’adolescent devra travailler dans le cadre d’une « mission d’intérêt général » : ici encore, la sujétion n’est pas imposée par la Défense nationale ; elle heurte de plein fouet plusieurs dispositions législatives ou même constitutionnelles et quelques conventions internationales. On n’a que l’embarras du choix : travail des enfants, travail forcé, travail dissimulé, la liste n’est pas exhaustive.
Il est enfin contraire aux droits et libertés parce que même le rapport parlementaire soulignait « la contradiction entre le caractère obligatoire d’un tel service et l’essence même de l’engagement au service de la société, qui repose sur le don de soi », mais que le gouvernement le présente comme « un projet de société » comportant une période d’engagement alors qu’en France comme dans tous les pays se réclamant un tant soit peu de la liberté, un engagement est un acte volontaire. Un projet de société qui prévoit un engagement obligatoire, cela s’appelle de l’embrigadement, du formatage des esprits, du contrôle social et cela relève des méthodes d’autres régimes en d’autres temps.