La grosse décennie passée en Afghanistan a marqué nos armées. Pour conjurer le tabou de la défaite, beaucoup se sont félicités du niveau acquis aux côtés de nos alliés américains sur ce théâtre. En 2013, alors que le retrait d’Afghanistan se termine, nos armées retrouvent des marges de manœuvre et l’opération au Sahel commence. Naturellement la tentation d’y plaquer des réflexes afghans est forte. Certains posent même la question de l’enlisement et du retrait.
La situation au Sahel est pourtant sans rapport d’un point de vue tactique mais aussi stratégique. Face aux djihadistes du Sahel, le nombre de militaires morts ou blessés est, malgré des effectifs supérieurs à ceux déployés autour de Kaboul, bien moindre. Aucune action d’envergure de type Uzbin n’a pu déstabiliser nos positions. Il est vrai que la popularité de nos troupes n’est plus celle de 2013. L’euphorie de Tombouctou est retombée. Mais le terrain est connu, les troupes françaises ne l’ont d’ailleurs jamais vraiment quitté depuis les indépendances de 1960. En février dernier au Sénat, la ministre des armées se félicitait qu’« en quatre ans, nous avons mis hors de combat plus de 600 terroristes [dont] plus de 200 combattants en 2018 […] Chaque trimestre, nous saisissons deux tonnes d’armes et de munitions. » La France n’a pas à rougir de l’opération Barkhane. Sans coalition internationale ou américaine, elle s’en tire même très bien. Après l’Afghanistan, les armées françaises ont renoué avec le succès.
La France n’a pas à rougir de l’opération Barkhane. Sans coalition internationale ou américaine, elle s’en tire même très bien. Après l’Afghanistan, les armées françaises ont renoué avec le succès.
Il est vrai que le Sahel nous concerne bien plus directement que les guerres de l’OTAN. Ces populations, dont la langue française n’est pas étrangère, cultivent des relations d’amitié avec Paris prolongées par la très nombreuse diaspora installée chez nous. Le Maghreb et la Méditerranée sont tout proches. En somme, la France-Afrique est plus inséparable que jamais et de la sécurité au Sahel dépend notre propre sécurité.
L’Afrique francophone doit aussi résister aux incursions chinoises, russes et américaines. Pour ce faire, la question de faire appel à nos alliés européens s’est posée. Le général François Lecointre disait en 2018 « réfléchir à une évolution de l’opération Barkhane, une opération ‘bis’ ou ‘ter’, où des Européens prendraient le lead d’une partie de l’opération, de certaines zones géographiques, de fonctions militaires particulières… » Couplée avec le déploiement inédit des troupes américaines dans la région, cette coalition court le danger, comme en Afghanistan et en Irak, d’éveiller le soupçon d’une occupation à l’occidentale. L’Alliance atlantique dispose désormais d’un bureau de liaison au siège de l’Union Africaine à Addis-Abeba. Or, plus les troupes américaines et européennes, dépourvues de vraie expérience du continent noir, sont sollicitées et plus l’opération Barkhane s’affaiblit. On croit se renforcer avec quelques renforts d’hélicoptères et autres avions de transport. En réalité, on pourrait mettre le doigt dans l’engrenage : perdre le commandement et s’enliser dans les méandres des États-majors internationaux.
Africaniser l’opération via les pays du G5 Sahel, plutôt que de l’américaniser, est une solution bien plus durable, à condition toutefois de ne pas chercher coûte que coûte à intégrer ces troupes dans un grand tout informe et d’en attendre monts et merveilles. Appuyons-nous sur notre traditionnel réseau de coopérants, élargissons le groupe à toute l’Afrique occidentale (CEDEAO). Les lenteurs africaines sont bien connues et peuvent en décourager certains, mais elles sont toujours préférables à une occidentalisation de la région. Tout le monde sait bien que la solution passe par un renforcement du pouvoir politique à Bamako et Ouagadougou, les deux maillons faibles du moment.