Mila est cette adolescente qui s’en est prise de manière outrancière à l’islam dans une vidéo, en réponse aux insultes dont elle était l’objet de la part d’un homme qu’elle avait éconduit sur internet. Depuis cette vidéo, elle est menacée de mort et vit recluse, l’Éducation nationale n’étant pas en mesure, pour l’instant, de lui trouver un lycée public dans lequel sa sécurité serait garantie, ce qui en dit long sur l’état de notre société. « L’éducation nationale se préoccupe de sa situation, mais il est difficile de trouver un établissement capable aujourd’hui d’assurer sa sécurité », avance Me Malka, avocat de l’adolescente, selon qui « de nombreuses menaces ont émané d’élèves de son lycée ».
Par ailleurs, le garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a eu des mots malheureux sur Europe 1 le 29 janvier dernier quand elle a estimé que les propos de Mila constituaient « évidemment une atteinte à la liberté de conscience », propos qu’elle a regrettés par la suite. Le parquet de Vienne a même ouvert une enquête pour « provocation à la haine à l’égard d’un groupe de personnes, à raison de leur appartenance à une race ou une religion déterminée », qui a heureusement été classée sans suite. De son côté, le délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri, s’en est pris à l’adolescente elle-même dans l’émission Les Vraies Voix sur Sud Radio : « Qui sème le vent récolte la tempête » estime-t-il tout en condamnant les menaces de mort « Elle l’a cherché, elle assume », poursuit-il, provoquant un scandale dans une partie de la classe politique, à droite plus qu’à gauche. Le plus remarquable est l’embarras de la France insoumise qui semble avoir été totalement phagocytée par les islamo-gauchistes au point de ne réagir que dans un deuxième temps, sous la pression médiatique.
L’esprit charlie a donc vécu. Il y a cinq ans, quatre millions de Français défilaient dans la rue le 11 janvier 2015 pour défendre la liberté d’expression après l’attentat contre Charlie Hebdo. Aujourd’hui, ceux qui blasphèment contre l’islam sont de moins en moins protégés – et donc de moins en moins nombreux. Car le règne de la terreur produit ses effets et si le droit protège ceux qui, à l’instar de Mila, se livrent à des critiques parfois outrancières de la religion musulmane, la société n’est plus en mesure de le faire correctement.
Si le droit protège ceux qui, à l’instar de Mila, se livrent à des critiques parfois outrancières de la religion musulmane, la société n’est plus en mesure de le faire correctement.
Quelles conclusions tirer de cette affaire qui n’est pas encore terminée ? D’abord, souligner encore une fois le deux poids deux mesures qui sévit dans notre société. Quand un pseudo humoriste de France inter croit bon d’insulter la religion chrétienne, il n’est en aucune sorte inquiété. Se croyant transgressif, il s’attaque, en fait, à la seule religion qu’on peut librement insulter sans craindre d’être cloué au pilori ni menacé de mort. Ce n’est pas très glorieux pour lui et s’il faut se réjouir que les catholiques soient des citoyens apaisés qui ne réagissent pas par la violence aux invectives, il serait bon que le service public ne donne pas la parole à des individus qui ne sont ni drôles ni courageux.
Ensuite, il faut distinguer ce qui est légal de ce qui est opportun. Les propos outranciers de Mila sont-ils opportuns et bien formulés ? Non. N’auraient-ils pas dû être proférés en terme moins offensants ? Oui. Sont-ils conformes à la bienséance ? Sûrement pas (en même temps, la jeune fille venait de se faire interpeller vigoureusement et traiter de raciste). Mais, ces propos sont parfaitement légaux dans la mesure où le délit de blasphème n’existe plus en France depuis 1789. Et le premier rôle d’un État est de protéger ses ressortissants quand ils sont menacés de mort. Rappelons qu’au termes de la loi du 29 juillet 1881, seules les insultes, les menaces et la diffamation visant les personnes sont condamnables. Les religions, tout comme les idéologies, peuvent être librement critiquées, ce qui rend très problématique le concept d’islamophobie forgé par les Frères musulmans et qui est irrecevable en droit français.
Ces propos sont parfaitement légaux dans la mesure où le délit de blasphème n’existe plus en France depuis 1789. Mais sont-ils opportuns ?
Sur le fond, peut-on se satisfaire d’une société dans laquelle on peut tout critiquer hormis les personnes ?
Il y a en France une tradition d’irrévérence qui fait son charme et sa singularité : le rire permet une distanciation par rapport au réel, la polémique casse les idées reçues et la caricature pointe du doigt les travers d’une société : sans Rabelais, pas de rire gras ni d’humour potache, sans les fables de La Fontaine, pas de critique de l’absolutisme royal, sans Molière, impossible de se moquer des Précieuses ridicules, sans Daumier, pas de caricatures des hommes politiques du XIXème siècle, sans Éric Zemmour, impossible de braver aujourd’hui la bien-pensance. La critique est donc saine et la caricature indispensable quand elle œuvre au bien commun de la société. Elle constitue même un contre-pouvoir formidable que redoutent tous les dictateurs : « quatre journaux hostiles sont plus à craindre qu’un millier de baïonnettes » affirmait Napoléon.
Mais le rire et la satire ne trouvent pas place dans toutes les circonstances. On ne peut pas rire de tout, tout le temps et avec n’importe qui, surtout dans des situations tragiques : quand une nation pleure ses enfants, quand un père pleure son fils, une femme son conjoint ou une mère son enfant, le rire n’est plus de mise. Il y a des évènements qui sont sacrés dans la vie des nations parce qu’ils renvoient au caractère tragique de la condition humaine ainsi qu’à la mémoire collective qui en découle : les Poilus qui versèrent leur sang pour la patrie, les juifs victimes par millions de la Shoah, les soldats français qui meurent aujourd’hui au combat en OPEX loin de la mère patrie. Devant la mort, on ne rit plus (du moins pas dans certaines circonstances), on se recueille et l’on prie. Le culte des morts, si cher à Maurice Barrès, vient rappeler la dimension sacrée de la vie humaine et la profondeur insondable des liens tissés entre les vivants.
Il y a des évènements qui sont sacrés dans la vie des nations parce qu’ils renvoient au caractère tragique de la condition humaine ainsi qu’à la mémoire collective qui en découle.
Trait révélateur de la persistance d’une mentalité individualiste, le droit a tardivement pris en considération la défense d’une mémoire collective et de ses symboles. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui régit notre droit actuel, ne sanctionne, comme on l’a dit, que la diffamation, la provocation, l’outrage, l’injure ou la discrimination portés à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes. Il a fallu attendre le décret du 21 juillet 2010 pour sanctionner l’outrage au drapeau français, le gouvernement estimant alors que l’honneur d’une nation devait être défendu au même titre que l’honneur d’une personne car chacun de nous est atteint quand on outrage les symboles de la nation (le décret a été publié suite à un concours de photographie organisé par la Fnac de Nice, au cours duquel un homme s’était fait photographier en se torchant avec le drapeau français).
Faut-il aller plus loin et protéger les religions de toute critique offensante ? Nous sommes dans un État laïc qui a aboli le délit de blasphème à la Révolution et ne reconnaît officiellement aucune religion. En revanche, celles-ci restent une composante majeure de la société et des citoyens qui la composent. De ce fait, un artiste ou un journal ne peut ignorer la part prise par la foi dans le parcours personnel de nombre de nos concitoyens ainsi que le poids des différentes traditions religieuses, au premier rang desquels le christianisme qui a forgé notre identité nationale. Comme le rappelaient les signataires d’une tribune rédigée lors de la représentation polémique de la pièce Golgota Picnic en 2011, « l’art contemporain ne peut absolument pas fuir sa responsabilité, la nier ou s’en affranchir au nom de la revendication d’une liberté absolue. Refuser toute perspective de foi ne peut dispenser l’artiste de comprendre que, pour un chrétien, le Fils de Dieu n’est pas un concept : c’est un ami, un frère, c’est l’amour de toute une vie. Pour l’amour de ce visage – incarnation du don total de Dieu pour le bien de l’homme -, des hommes et des femmes, aujourd’hui, consacrent leur vie entière, dans le sacerdoce, la vie consacrée, l’engagement familial, le service des autres. Cet amour doit être respecté, quand bien même on ne le comprendrait plus, comme on respecte par simple humanité les personnes et les liens auxquels elles tiennent. S’affranchir de ce respect, c’est se rendre coupable d’une violence très grave, qui tirerait toute notre société vers la barbarie » (tribune collective de catholiques engagés, Le Monde, 4 novembre 2011).
Un journal ne peut ignorer la part prise par la foi dans le parcours personnel de nombre de nos concitoyens ainsi que le poids des différentes traditions religieuses, au premier rang desquels le christianisme qui a forgé notre identité nationale.
Pour autant, il ne serait pas opportun de légiférer dans le contexte actuel sur une matière aussi délicate car ce serait la porte ouverte à de toutes sortes de surenchères répressives qui seraient exploitées judiciairement par tous ceux qui veulent faire taire les esprits libres, au premier rang desquels le CCIF. Il est donc préférable de lancer un appel à la responsabilité et au bon sens de chacun, dès lors que l’on traite de sujets délicats qui peuvent blesser les convictions intimes des uns et des autres. C’est un travers très français de considérer que tout ce qui n’est pas pénalement interdit est moralement bon : un propos peut ne pas tomber sous le coup de la loi pénale mais se révéler maladroit, indélicat voire franchement déplacé.
Ce n’est pas parce que l’on dispose d’un droit qu’on peut l’utiliser sans faire preuve de discernement. Comme l’écrivait le philosophe Rémi Brague, au moment de l’affaire charlie : « De manière générale, je dirais que défendre la liberté d’expression est un très noble devoir, mais j’aimerais demander ce que l’on tient tellement à exprimer et souhaiter que l’on essaie d’avoir vraiment quelque chose à dire. Si la liberté d’expression sert à nous chier dans la cervelle, passez-moi l’expression, mérite-elle qu’on se donne tant de peine pour elle ? » (Valeurs actuelles, 7 janvier 2016). C’est bien le problème de notre modernité : nous exaltons la liberté d’expression comme une fin en soi alors que tout dépend de la qualité des idées que l’on exprime et de la vérité vers laquelle on se dirige. « La liberté pour quoi faire ? » écrivait prophétiquement Bernanos.
Nous exaltons la liberté d’expression comme une fin en soi alors que tout dépend de la qualité des idées que l’on exprime et de la vérité vers laquelle on se dirige.
Ce n’est qu’en posant la question de la vérité que l’on ordonnera la liberté d’expression à sa fin véritable. Comme l’affirmait le cardinal Ratzinger en 1999, « la conception de la liberté comme résultant d’une libération par la disparition des normes, la continuelle extension des libertés individuelles, jusqu’à la libération totale de tout ordre, est une conception fausse. La liberté, pour ne pas conduire au mensonge et à l’autodestruction, doit s’orienter vers la vérité, c’est-à-dire vers ce que nous sommes véritablement, et qui correspond à notre être » (Cardinal Joseph Ratzinger, Liberté et Vérité, article publié dans la revue Communio, mars-avril 1999, p 99).