Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois, professeurs de droit public, ont rédigé pour la Fondation du Pont Neuf la note Un Trou noir démocratique, ce que nous dit la Convention citoyenne pour le climat dont le résumé a été publié par le Figaro dans son édition du mardi 21 juillet.
Sur la Convention citoyenne pour le climat, clôturée par le président Macron le 29 juin dernier, le jugement le plus significatif est peut-être celui qu’a porté son rapporteur général, Julien Blanchet, en parlant de « démocratie augmentée ». La formule ouvre en effet bien des horizons, en ce qu’elle renvoie à ce que l’on nomme « la réalité augmentée » ou encore, « l’humanité augmentée », dont chacun sait qu’elles n’ont plus grand-chose à voir, ni avec la réalité, ni avec l’humanité. Dans ces deux cas, « l’augmentation » vantée fait basculer ce qu’elle modifie dans une dimension différente, que l’on pourra peut-être trouver plus agréable, plus excitante, plus belle ou plus forte, mais qui n’a que de lointains rapports avec son objet initial.
Emmanuel Macron s’étant engagé, par un « contrat moral », à soumettre « sans filtre » ses propositions au Parlement ou au peuple, un véritable pouvoir a été attribué à ce groupe de 150 personnes tirées au sort, puis sélectionnées sur la base de critères visant à reproduire en miniature « la société française dans sa diversité ».
Il en va de même avec la démocratie participative mise en œuvre dans le cadre de la Convention citoyenne. Emmanuel Macron s’étant engagé, par un « contrat moral », à soumettre « sans filtre » ses propositions au Parlement ou au peuple, un véritable pouvoir a été attribué à ce groupe de 150 personnes tirées au sort, puis sélectionnées sur la base de critères visant à reproduire en miniature « la société française dans sa diversité » – ou plutôt, ce que les initiateurs du projet considéraient comme étant cette diversité, écartant de la liste des critères ce qui leur semblait sans importance, comme la situation de famille… Cette opération visait à offrir à un « panel » idéologiquement orienté et encadré par les responsables de think tanks proches du Président le droit de penser, de débattre et de décider à la place des Français. Elle justifiait ainsi la mise à l’écart du peuple, seul et unique souverain dans une démocratie, en affirmant une coïncidence supposée parfaite entre la volonté de ce dernier et les choix de ceux dont on avait arbitrairement décidé qu’ils s’exprimeraient pour lui. La Convention, notait ainsi Édouard Philippe dans sa Lettre de mission, avait pour but d’ « impliquer toute la société dans la transition écologique à travers un échantillon représentatif de citoyens ». De l’impliquer, parce que le consensus en son sein traduirait nécessairement celui qui, quoique non encore exprimé, existerait dans notre société sur ces questions.…
Face aux divergences flagrantes entre les positions de la Convention et l’opinion du pays – ce fut le cas pour la limitation de vitesse à 110 km/h sur les autoroutes, adoptée à 59,7 % par les « conventionnaires » mais rejetée par 74 % des Français – il suffisait de plaider le manque d’informations de ces derniers. « C’est sans doute – estime Laurence Bedeau en rendant compte du sondage – parce que les conducteurs sous-estiment le poids de la voiture dans les émissions de gaz à effet de serre, et l’impact que peut avoir une baisse de 20 km/h sur les émissions polluantes ». Bref, parce qu’ils ne savent pas. Parce qu’ils n’ont pas, comme le déclaraient plusieurs membres de la Convention pour justifier leur refus de s’en remettre au référendum pour valider leurs propositions, le même niveau de connaissance que celui qu’eux-mêmes ont fini par acquérir au terme de cette « expérience inédite d’intelligence collective ».
La démocratie augmentée, c’est en somme la « France en petit » qui, grâce à la parole des experts, sait ce qui est bon pour la France en grand
La démocratie augmentée, c’est en somme la « France en petit » qui, grâce à la parole des experts, sait ce qui est bon pour la France en grand… C’est donc le dépassement, sinon la relégation future, des deux formes classiques de la démocratie qu’elle soit parlementaire ou référendaire. Les amateurs de science-fiction, comme les psychiatres, n’ignorent pas que les adeptes de la réalité augmentée finissent toujours par se détourner de la réalité ordinaire pour ne plus vivre que dans leurs paradis artificiels. Paradis artificiel, tel est au fond le destin, sinon l’objectif à peine dissimulé, de la démocratie augmentée façon Convention citoyenne : d’une part, en concurrençant un système représentatif jugé vieillissant, coupé du peuple et du pays réel, par le « sang neuf » de la « société civile » ; d’autre part, en encadrant et en marginalisant pour mieux les neutraliser des mécanismes référendaires toujours incontrôlables et suspects de dérives populistes.
Emmanuel Macron a annoncé que l’expérience serait étendue à bien d’autres sujets, et notamment aux grandes questions de société – une évolution que préfigurent des éléments du projet de loi organique portant réforme du Conseil économique social et environnemental que le gouvernement Castex vient de déposer en urgence ce 10 juillet sur le bureau de l’Assemblée nationale. À ceux qui oseraient dénoncer l’illégitimité de tels procédés, critiquer les mécanismes de sélection, souligner le rôle déterminant joué par les experts, déplorer le conformisme résultant des méthodes de travail, s’indigner de la mise à l’écart du peuple souverain et de la place secondaire laissée à ses représentants, on répondra sans doute que ce qu’on leur propose ainsi, c’est toujours la démocratie, en mieux. Mais pour qui ?
Lire la tribune sur le site du Figaro.
La Convention citoyenne est-elle démocratique?
Article intéressant qui m’interroge sur la notion de “démocratie augmentée “.
Ancien fonctionnaire du Cese, j’ai eu l’occasion de côtoyer Julien Blanchet. Comme vous le savez, il est un des 4 Conseillers du Groupe des Jeunes pour la mandature 2015 -2020. Il a été auparavant pendant 2 ans , président de la Fage, premier syndicat étudiant, et a été inscrit dans un master de Droit public.
C’est un membre actif dans les travaux et qui s’exprime clairement, c’est probablement pour ces raisons que le Bureau du Cese l’a nommé au comité de gouvernance et s’est assuré qu’il serait désigné rapporteur général pour les travaux de la Convention.
Ce qui soulève un premier problème, celui du rôle du Cese bien plus large qu’organisationnel, comme il le prétend au travers des propos de son président. Dans ce comité de gouvernance on trouvait aussi de manière discrète aussi qu’efficace, un questeur et un vice-président. Quant on connaît la faible marge de manœuvre dont dispose depuis toujours le Cese vis à vis de l’exécutif, on peut à bon escient imaginer que ce maillage a pu exercer une influence, un “doux pouvoir” sur les sympathiques mais novices citoyens tirés au sort. Sur fond de devenir toujours incertain de troisième assemblée consultative, nul doute que ce dispositif a été efficace pour démontrer à l’exécutif son utilité.
Je reviens au début de mon propos et me demande bien
comment et d’où a pu surgir le concept de “démocratie augmentée” qui est tout sauf rien comme on dit chez moi. “Punchline”, élément de communication? Ou bien est-ce le fruit prometteur et récent de la réflexion de juristes, de philosophes ou de sociologues? En d’autres termes, quels sont les esprits qui ont soufflé à Julien Blanchet cette pseudo avancée conceptuelle qui relèguerait les autres formes de démocratie aux oubliettes de l’histoire?
Bonsoir,
Avez-vous bien reçu mon commentaire envoyé ce jour mardi, à propos de l’article paru dans Le Figaro sur la Convention citoyenne et la démocratie augmenté ?
Merci.
Oui, nous avons bien reçu votre commentaire qui est en ligne sur notre site. Bien à vous, La Fondation du Pont-Neuf.