Saint-Simon fut l’artisan d’une pensée moderniste, résolument attachée au progrès et à la lutte contre tous les conservatismes, sans toutefois renier une forme de transcendance. Les points communs avec le logiciel intellectuel d’Emmanuel Macron sont nombreux, détaille Frédéric Rouvillois, délégué général de la Fondation du Pont-Neuf, dans une interview au FigaroVox au sujet de son ouvrage Liquidation, tout juste paru aux éditions du Cerf.
FIGAROVOX.- Qu’est-ce que la doctrine saint-simonienne? Et quelle est la parenté entre le saint simonisme du XIXe siècle et les positions d’Emmanuel Macron ?
Frédéric ROUVILLOIS.- On pourrait commencer par noter que le saint-simonisme, que Karl Marx qualifiait de «socialisme utopique», n’est pas une doctrine au sens strict du terme, avec la rigidité conceptuelle et la cohérence interne qu’implique un tel mot. Sans doute les disciples de Saint-Simon, dans les années qui ont suivi sa mort en 1825, ont-ils voulu en constituer une, en même temps qu’une école, et même qu’une religion: mais l’ensemble a finalement explosé dans de nombreuses directions dès le début des années 1830. Et au total, on serait tenté de parler plutôt d’une nébuleuse idéologique, d’une sensibilité, d’une tendance et d’une méthode saint-simonienne. Cette doctrine qui n’en est pas une, pourrait se résumer ( bien que Saint-Simon n’emploie pas ces termes) en une combinaison de socialisme et de libéralisme ; ou mieux encore, en la qualifiant de progressisme: un progressisme qui voit dans le développement de la science, de la technique, du commerce et de l’industrie, le moteur déterminant de l’émancipation et du bien-être universels. Si cette doctrine, contrairement à tant d’autres, n’a pas disparu dans les oubliettes de l’histoire, et si tant de contemporains, intellectuels, hommes d’affaires ou politiques éminents, continuent aujourd’hui de s’en réclamer plus ou moins explicitement, c’est parce que ce programme, esquissé par Saint-Simon et systématisé par ses disciples, a ensuite été mise en œuvre par ces derniers dans le cadre de la Révolution industrielle – une expression qu’ils sont d’ailleurs les premiers à utiliser dès 1831. Les saint-simoniens vont être en effet les principaux acteurs de l’industrialisation de la France, de l’essor du machinisme et du développement des réseaux, réseaux de transports (canaux, chemins de fer), réseaux financiers (grande banque, crédit) et réseaux humains (urbanisation, etc ): bref, ils seront les initiateurs d’une modernisation à marche forcée poursuivie avec d’autant plus d’énergie qu’ils lui donnent une valeur à la fois économique, politique, sociale et morale (le travail est sanctifié, car lui seul permet à l’homme de s’accomplir et de se libérer).
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