Atlantico a interviewé Christophe Boutin au sujet de la polarisation extrême des électorats de Donald Trump et Joe Biden.
Atlantico.fr : Une étude du Pew Research Center montre qu’aux États-Unis, la polarisation est plus extrême que jamais entre les électorats de Donald Trump et Joe Biden. Entre autres sujets, on observe que 82% des électeurs démocrates jugent le coronavirus « très important » dans leur choix, contre 24% des électeurs républicains ; des chiffres qui sont de respectivement 76% et 24% pour le sujet des inégalités raciales et de 68 et 11% sur le changement climatique. Cette polarisation croissante est-elle un risque pour la démocratie, dans la mesure où il devient de plus en plus difficile pour le président d’unir la nation autour de thèmes communs ? N’est-ce pas une sorte de « séparatisme » politique qui oppose deux camps irréconciliables ?
Christophe Boutin : Les oppositions que relève cette étude entre les priorités des électorats de Donald Trump et de Joe Biden sont effectivement très intéressantes car elles dépassent largement la seule question de la radicalisation – ou, au moins, de la plus grande visibilité – d’un clivage entre deux partis politiques aux États-Unis. Au-delà, c’est en effet dans l’ensemble des démocraties occidentales que de tels clivages augmentent entre deux grandes catégories, deux grands blocs.
Le premier, représenté dans le cadre américain par l’électorat de Donald Trump, est le groupe mis à mal par la mondialisation. Parce qu’il ne s’y retrouve plus économiquement, mais, au-delà, parce qu’il a l’impression de voir se déliter tout ce qu’il pensait constituer les bases même de la communauté dans laquelle il vit : entre les bouleversements ethniques dus à l’immigration et les bouleversements sociétaux dus à la pression de groupes minoritaires, il ne reconnaît plus son pays. Et s’il est certes inquiet de la montée des violences, il l’est bien plus encore de voir attaqués des éléments qui, pour lui, allaient naturellement de soi dans la constitution de sa nation, qu’il s’agisse par exemple du respect de l’autorité ou de la place de la famille.
À ce premier groupe s’en oppose un second, composé lui des gagnants de la mondialisation, ces fameux « premiers de cordée » qu’aime à décrire notre Président. Eux estiment au contraire qu’il est nécessaire de transformer radicalement le monde dans lequel ils vivent, dont le passé est accusé de tous les maux. Pour cela, il faut abattre les piliers du monde ancien, et c’est bien, pour reprendre le titre du livre-manifeste d’Emmanuel Macron, d’une « Révolution » qu’il s’agit.
Cette division entre deux groupes retrouve sensiblement celles décrites par Christophe Guilluy entre la France périphérique et celle des métropoles, par David Goodhart opposant les « somewhere » et les « anywhere », par Jérôme Sainte-Marie distinguant bloc populaire et bloc élitaire, et il s’agit donc on le voit d’un phénomène important de nos jours.
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