Hadrien Desuin est responsable des questions internationales à la fondation du Pont-neuf et l’auteur de La France atlantiste, ou le Naufrage de la diplomatie aux éditions du cerf. Il a été interrogé par FigaroVox au sujet de l’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis.
FIGAROVOX. – Pour Joe Biden, les États-Unis sont «prêts à guider le monde». Faut-il s’attendre à une Amérique moins isolationniste ?
Hadrien DESUIN. – Depuis 1945, l’isolationnisme n’est plus une option aux États-Unis. «America First» est un slogan qui a été mal interprété. Ce slogan des années Lindbergh, déjà travesti une première fois par Reagan, voulait simplement dire chez Trump que les États-Unis seraient grands à nouveau, à la première place. Rien à voir avec 1940 quand l’opinion américaine ne voulait pas se battre contre les nazis. Il est vrai que Trump, comme Obama, s’est gardé d’intervenir en masse en Syrie, au Yémen ou en Libye mais cela ne l’a pas empêché d’intervenir sur la question iranienne, palestinienne, coréenne etc. Il l’a fait de façon unilatérale ce qui n’a pas empêché les États-Unis de rester au centre du jeu pendant quatre ans.
Vous remarquerez également que si Moscou et Téhéran n’ont pas été bombardés, les troupes américaines sont toujours présentes à Kaboul et Bagdad et que les nombreuses promesses de retrait définitif n’ont jamais été honorées. Avec Biden nous devrions assister à un retour de la méthode Obama sans que les grandes orientations de la diplomatie américaine ne changent : maintenir une présence légère au Moyen-Orient et se contenter d’encercler à distance la Chine et la Russie. La question est plutôt de savoir si la méthode choisie sera plus proche du premier ou du second mandat Obama, quand Hillary Clinton était au département d’État ou lorsque John Kerry y était.
Antony Blinken, le futur Secrétaire d’État et Jake Sullivan, le prochain conseiller à la sécurité nationale parlent français mais semblent plutôt faire partie de la branche wilsonienne de la diplomatie américaine, autrement dit idéaliste et interventionniste, celle de Hillary Clinton. Mais Biden lui-même était plus proche de celle de John Kerry pendant sa vice-présidence, un peu plus réaliste et donc moins interventionniste. Disons que l’Amérique prendra davantage de gants avec les Européens pour intervenir en cas de crise. Et ces derniers, flattés d’être écoutés, suivront les États-Unis avec d’autant plus de zèle.
La déclaration de Biden que vous citez s’inscrit dans la grande tradition messianique américaine. C’est un passage obligé pour tout candidat à la Maison-Blanche: «Make America great again» ne dit pas autre chose, au fond. Les États-Unis sont «la nouvelle Terre promise», appelée à guider l’humanité vers la liberté. Nous verrons si cela se fait de façon violente ou pacifique. Biden, tout au long de sa carrière, a beaucoup tergiversé. C’est un centriste qui peut pencher dans un sens ou un autre en fonction de ses intérêts, de sa sensibilité, de son entourage ou de l’équation politique du moment. Mais n’attendons pas d’énormes bouleversements: l’Amérique de Biden est fatiguée et malade.
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