À l’occasion du décès de Valéry Giscard d’Estaing, Christophe Boutin et Édouard Husson débattent dans les colonnes d’Atlantico de l’héritage laissé par la droite libérale orléaniste au pouvoir.
Atlantico.fr : VGE est l’homme politique qui a porté une droite libérale orléaniste au pouvoir avec un parti, l’UDF, au centre de son grand œuvre politique. L’UMP, en voulant réunir les droites, a-t-elle étouffé le libéralisme giscardien ?
Christophe Boutin : Je serais volontiers tenté de vous dire que c’est l’inverse qui a eu lieu. Coexistaient en effet en France une droite que, pour reprendre la célèbre distinction de René Rémond, on peut qualifier de « bonapartiste », liant un peuple et son chef, et qui s’incarnait dans le gaullisme sous la Ve République, et cette droite baptisée cette fois « orléaniste », mélange savant des intérêts de financiers et de barons locaux. Deux droites qui avaient des conceptions et des approches fort différentes de ce que vous appelez le libéralisme, à la fois dans son aspect économique mais aussi dans son aspect social. En économie d’abord, la première, la droite bonapartiste, prônait un libéralisme d’entrepreneurs – y compris de petits entrepreneurs -, couplé à une politique nationale de grands chantiers qui tirait l’ensemble – que ce soit avec le nucléaire, l’aéronautique, les chantiers navals, l’industrie de défense ou l’automobile. Au contraire, le libéralisme économique de la seconde, déjà un libéralisme financier, était à la fois beaucoup plus internationaliste et donc beaucoup moins national, gêné même par les mythes gaulliens et ne voulant donner à la France dans le monde que la place de son PIB. Sur le plan social ensuite, quand le libéralisme de la première était institutionnel et prenait en compte la préservation des structures – famille, corps intermédiaires – dont il estimait qu’elles étaient les fondements mêmes de notre société, le libéralisme « sociétal » de la seconde ne visait qu’à satisfaire toutes les revendications individuelles.
Dans ce cadre, la fusion-acquisition opérée en 2002 entre l’UDF, parti giscardien de la droite orléaniste, et le RPR, parti qui croyait bon de se réclamer encore du gaullisme, a traduit la victoire pleine et entière de la première option sur la seconde. L’UMP allait en effet renoncer rapidement à tout ce qui pouvait, de près ou de loin, rappeler l’odieux conservatisme, pour soutenir toutes les avancées sociétales, éloignant toujours plus ses élus de leur base électorale. Le résultat est nous sommes bien avec LR, qui a succédé à l’UMP, devant un parti de cadres qui gère un héritage gaulliste, réduit à quelques incantations auxquelles il ne croit plus que pour réveiller la nostalgie de cet électorat vieillissant qui lui apporte encore ses voix, et faisant sur tous les plans (au mieux !) une politique orléaniste.
Edouard Husson : Je ne suis pas sûr que les catégorisations soient aussi simples. Droite libérale ? Valéry Giscard d’Estaing lui-même était « libéral » au sens de la gauche américaine, en tout cas dans toute une partie de la politique défendue sous son septennat: qu’il s’agisse de la loi Veil ou de la montée des dépenses de l’Etat. En fait, Giscard, quand on le replace dans les années 1970, était assez proche de Jacques Chaban-Delmas et de Jacques Delors. On était dans l’après-1968, dans la légalisation de la transformation des mœurs et dans les illusions de la fin de la période keynésienne. Ensuite, Giscard a été soumis à des influences qui contrebalançaient : son amitié avec Helmut Schmidt, qui l’a poussé à écouter Raymond Barre et ses recommandations monétaristes, d’alignement du franc sur le mark. Et puis il y avait le « Giscard profond », nostalgique de l’Algérie française, ami de Michel Poniatowski. Il dévoilait peu ce fond presque réactionnaire qu’il avait hérité de son père Edmond. L’UDF reflétait largement la complexité giscardienne: on y trouvait des centristes et même un petit parti appelé « parti social-démocrate » mais on y croisait aussi les héritiers de l’anti-gaullisme de droite, des nostalgiques de l’Algérie française. Jean-Marie Le Pen a rappelé qu’il avait un temps siégé dans le même groupe que Giscard à l’Assemblée : les républicains indépendants de Giscard sont sortis du CNI. Il faut se rappeler ce qu’était l’UDF des années 1980 encore, où l’on croisait Alain Madelin et François Bayrou à la fois, Philippe de Villiers et François Léotard, Christine Boutin et Pierre Méhaignerie, Charles Millon et Alain Lamassoure.
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