De façon générale et dans son essence, l’utopie est foncièrement anti- conservatrice. Au fond, elle constitue presque l’exacte antithèse du conservatisme, justement en ce qu’elle se définit comme le projet d’établir ici-bas une société parfaite –  tandis que le conservatisme se conçoit fondamentalement comme « une politique de l’imperfection ». Imperfection à laquelle le conservateur accepte de se résigner, et qu’il intègre, dans sa vision du monde, comme un paramètre irrémédiable et indépassable.

La vision utopique de la perfection paraît d’autant moins compatible avec le conservatisme, qu’elle est indissociable d’une approche artificialiste et volontariste. Ce paradis sur terre décrit par les utopistes, et que certains d’entre eux ont tenté de réaliser, cet Eden reconstruit ici-bas, est fabriqué par l’homme, et pour son seul bénéfice. Celui-ci a le droit de tout faire : de tout changer, y compris la nature, entièrement soumise à son vouloir. Toutes les utopies s’accordent sur ce point, il lui appartient de dépouiller le « vieil homme » pour devenir « l’Homme nouveau » régénéré, à la mesure de la Cité parfaite. L’utopie est ainsi un Prométhéisme radical, absolument confiant dans la science et dans l’agir humain, et d’ailleurs indissociable d’une foi sans failles dans le Progrès, l’éternel présent de l’utopie étant conçu comme une éternelle ascension…

 Mais ce n’est pas seulement pour ces raisons de principe que le conservatisme en général- et la Fondation du Pont-Neuf en particulier-, considère l’utopie comme un adversaire particulièrement dangereux. C’est parce que, comme on l’a noté plus haut, une certaine tentation demeure malgré tout.