Ce point de départ, foncièrement raisonnable, est par conséquent largement partagé – même si, en France, pour des raisons essentiellement historiques liées au traumatisme de la grande Révolution, les termes de « conservateur » et de « conservatisme » sont longtemps demeurés tabous, alors même qu’ils étaient utilisés sans difficulté chez la plupart de nos grands voisins, britanniques, allemands, américains, etc. En 1932, le célèbre essayiste Albert Thibaudet constatait à ce propos qu’il n’existait pas plus de conservateurs au sein du monde politique français qu’il n’y a en épicerie de « petits pois gros ».  Sauf que dans la réalité, de tels petits pois existent bel et bien, du même qu’existaient évidemment des groupes, des positions et des programmes relevant objectivement de la pensée conservatrice, quand bien même leurs promoteurs se refusaient-ils à le reconnaître.  A ce propos, bien qu’il ne s’en soit jamais réclamé, et qu’il ait même souvent utilisé le mot de façon négative, on pourrait considérer De Gaulle, dans sa volonté de de réconcilier le présent de le France avec son passé, comme un archétype du conservatisme à la française.

 Ce vieux tabou semble en voie d’extinction depuis la fin du XXe siècle, et plus encore depuis les grandes manifestations de 2012-2013.  Ce qui paraît d’autant plus heureux que le conservatisme constitue, non pas une idéologie armée de pied en cap ou une nouvelle orthodoxie rigide construite à partir d’un postulat unificateur, mais un simple dénominateur commun : un programme minimum susceptible de réunir, de façon souple, des sensibilités très diverses, éventuellement divergentes sur tel ou tel plan, mais qui  grâce à lui en viennent à former un réseau, une nébuleuse présentant malgré toute une certaine cohérence quant à ses valeurs, à ses projets et à ses combats.